La vidéotheque de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation

Par Manette Martin Chauffier
Présidente de la commission vidéothèque

(article paru dans Mémoire Vivante n°27 de juillet 2000)

D'emblée la Fondation a voulu aborder la déportation partie de France dans sa diversité : déportation de persécution avec un but, la solution finale, et déportation de répression qui visait surtout les résistants.
Deux grandes catégories qui comportent en réalité bien des « mémoires » : nationales, étrangères, patriotiques, résistantes, juives, antifascistes, otages, etc.
Répondre avec seulement le témoignage des survivants d'aujourd'hui est en réalité une vraie gageure : les déportés étaient issus de tous les milieux, ils représentaient tous les âges, ils appartenaient à des catégories très différentes, leurs motivations étaient très diversifiées, et par ailleurs, cinquante après, nous n'avons comme choix que ceux qui avaient 20 ans à l'époque. Confrontés à cet indispensable réalisme, nous avons décidé de recueillir au moins 100 témoignages avec l'exigence absolue de diversifier le plus possible les cas retenus et d'assurer un certain équilibre entre tous les paramètres : sexe, profession, date et lieu d'arrestation, organisation d'appartenance, circonstances d'arrestation (rafle, dénonciation, otage, droit commun, objecteur), internement, camp
principal, kommando, otage, type de déportation (N.N., juif résistant, tzigane, expériences particulières, lapins, chambre à gaz, plusieurs camps, prison, médecin, résistance dans le camp).

116 NOMS

En 1992 la Fondation relayée par les fédérations, associations et amicales, a distribué dans la France entière un questionnaire détaillé à remplir par chaque déporté, volontaire pour témoigner. Au mois d'août 1993 près de 4 500 fiches étaient de retour.
Une commission de la vidéothèque rassemblant à côté de 4 historiens de l'Institut d'Histoire du Temps Présent (I.H.T.P), cinq déportés dont trois connus pour leurs travaux sur la déportation (Serge Choumoff, le général Rogerie et Maurice Cling), après avoir déterminé tous les critères présentés plus haut, a arrêté définitivement le 13 juin 1996 les 116 noms des témoins retenus. Celle liste comprend : 89 hommes et 27 femmes, 76 résistants, 21 résistantes, 11 juifs et 7 juives, 2 otages, 2 prisonniers de guerre, 2 « politiques ».
Les professions, au moment des arrestations, sont extrêmement diverses. 31 mains -d'œuvre qualifiées (dont les étudiants et les collégiens), 18 ouvriers, 2 professeurs, 6 résistants clandestins, 11 techniciens et cadres, 7 employés de bureau., 6 commerçants, artisans, professions libérales, 9 médecins, infirmières, étudiants en médecine, 3 pasteurs ou prêtres, 2 paysans, 2 gendarmes, 3 militaires, 1 pointeur à bord, 1 commissaire-chef, 1 inspecteur de police judiciaire, 1 forestier, 1 sabotier, 1 culottier, 1 femme de ménage, 3 cheminots, 2 mineurs.
Leurs engagements sont extrêmement divers : Front National, parti communiste, jeunesses communistes, F.T.P.F., MOI, B.C.R.A., mouvements Combat, Libération- Nord, Libération-Sud, Défense de la France, armée secrète, auxquels s'ajoutent une quarantaine de réseaux divers.
Tous les camps importants sont présents avec une représentation particulière pour Buchenwald, Auschwitz, Mauthausen, Sachsenhausen, Ravensbrück, Dora, Neuengamme, Bergen-Belsen. 80 kommandos sont évoqués.
130 lieux d'internement sont cités dont Fresnes (32 déportés), Compiègne (44), Drancy (12), Romainville (13), la Santé (5), le Fort du Ha (5), la prison de Bayonne (4), la prison de Rennes (2), Montluc (6), la prison du Cherche-Midi (5), Loos-les-Lille (4), Angers (3), Clermont-Ferrand (4), Saint-Michel à Toulouse (3), la Centrale d'Eysses (2), et beaucoup d'autres encore.

RÉCIT DE VIE

Chaque témoignage filmé est un récit de vie personnel tourné en continuité, réalisé de la manière la plus simple et selon le principe de la non-directivité, de manière à laisser au témoin la plus grande liberté d'expression.
Le témoin toujours filmé chez lui, dans son cadre personnel, est prié avant l'entretien de ne rapporter que des faits qu'il a vécus lui-même, les souvenirs qui lui sont propres. Il a en face de lui non un historien ou un journaliste tenté de poser des questions pour obtenir les réponses qu'il connaît, mais un bon professionnel de l'audiovisuel qui se doit d'intervenir aussi peu que possible dans la conduite de l'entretien. Tous les effets évités.
Le cadre est chronologique. Il ne s'agit en aucun cas de faire une émission de télévision, mais plutôt de recueillir des archives brutes enregistrées selon le temps choisi par le témoin : en général six à huit heures sur deux ou trois jours de tournage.
Chaque témoin cède à titre exclusif et pour le monde entier, sans limitation de durée, le droit de reproduction et de représentation de son témoignage, ainsi que tous les droits d'utilisation secondaire pour tous modes d'exploitation et tous supports connus ou inconnus au jour du témoignage. Mais toutes ces cessions ne valent qu'à la seule condition que leur exploitation soit effectuée par la seule Fondation, ou sous sa responsabilité et dans le respect de ses statuts. La Fondation laisse évidemment au témoin toute latitude pour continuer à témoigner dans toutes les circonstances qu'il accepte.

UN GESTE SALVATEUR

Aujourd'hui 86 témoignages sont tournés et trois nouveaux sont programmés. Et l'on peut affirmer qu'en 2001, la Fondation viendra au bout de cet important projet, sur lequel, dés le départ, elle a décidé de consacrer de vrais moyens financiers et professionnels pour lui assurer une pérennité certaine et une exploitation ultérieure. Les moyens financiers ont été mis en place par l'état (1 840000 F), des collectivités territoriales (1 091 000 F), des associations (409 000 F), la Commission Européenne (100 000 F) des personnes privées (100 000 F), la Fondation elle-même, et enfin la F.N.D.I.R.P. lui attribuant la somme de 800 000 francs qui a sauvé réellement le projet en nous permettant de le terminer dans les conditions où nous l'avions entrepris en confiant sa mise en œuvre à l'IFOREP (Institut de Formation, de Recherche et de Promotion) qui possède une équipe de vrais professionnels de l'audiovisuel. En effet chaque tournage dure 2 ou plutôt 3 jours avec une caméra Bétacam pour enregistrer le déporté puis effectuer un travail de post-production extrêmement important. Il est indispensable, pour rendre consultables ces témoignages filmés et tournés en longueur et dont la durée varie de 6 à 10 heures, d'établir un document écrit, que nous appelons le « conducteur », qui répertorie une à une les étapes du récit toutes les 2 ou 3 minutes. Ce qui rend aisé sa consultation et prépare son entrée dans la banque de données multimédia de la Fondation, grâce au time-code porté sur les masters en Bêta S.P. et sur les cassettes de travail V.H.S. En ce qui concerne la conservation du matériel enregistré, et surtout des originaux, la Fondation vient de signer une convention avec le Centre Historique des Archives Nationales concernant en particulier deux points essentiels : une conservation dans d'excellentes conditions d'hygrométrie, d'archivage, de classification et de sécurité contre le vol mais aussi contre toutes les dégradations, et surtout une garantie de pérennité absolue puisque les Archives prennent l'engagement de faire dans les temps qui conviennent le transfert de tous nos documents sur un support numérique pérenne.

VERS QUELLE EXPLOITATION

Par ailleurs la Fondation a créé une Banque de données multimédia qui va permettre l'utilisation de la vidéothèque à des fins de recherche de pédagogie et de communication. C'est là que le conducteur se révèle essentiel. Il est utilisé, à l'aide des outils informatiques, pour sélectionner les passages concernant un thème de la déportation : « la faim dans les camps » par exemple. Le but est d'obtenir instantanément sur un écran toutes les références des passages ayant trait à la faim relevés dans chaque témoignage et de les juxtaposer. Pour cela il faut maintenant sortir de chacun d'entre eux les mots-clés appartenant au Thésaurus – la faim par exemple - et les numériser. C'est un système qui permet de retrouver toutes les informations recueillies dans cet énorme masse de documents dont nous disposons désormais. Cela rendra donc possible leur exploitation ultérieure et l'on percevra enfin l'utilité d'avoir tourné la vidéothèque avec des vrais moyens professionnels, plus coûteux certes, mais exploitables sérieusement.
Aujourd'hui donc, nous avons déjà accumulé près de 600 heures d'archives. Cet énorme matériel est une mine qui intéressera forcément les historiens, les chercheurs, les romanciers même, qui seront amenés à travailler sur elle. C'est une des premières fois dans l'histoire qu'un matériel, sur un événement historique de première importance, réunira des témoignages multiples faits par des hommes et des femmes qui l'ont vécu eux-mêmes. Déjà un certain nombre d'éléments de la vidéothèque ont été utilisés dans le Cédérom « Mémoires de la Déportation » de la Fondation.

DES MONTAGES DIDACTIQUES

Enfin, il paraît bien aussi que ce matériel dense et extrêmement varié sera très rapide- ment utilisé pour réaliser des montages didactiques destinés aux écoles. Un jour les déportés ne seront plus là pour témoigner.
Des films pourront les relayer. C'est un travail important qui exige de vrais moyens financiers et une réflexion approfondie et que prépare, comme je viens de l'indiquer, la banque de données. Il est certain qu'avec le matériel dont on disposera déjà tous les thèmes de la déportation peuvent être non seulement abordés mais traités au fond et avec une diversité réelle. Chaque déporté a son expérience propre et la juxtaposition de ces expériences aboutit à une variété et une richesse étonnantes. La Banque de données multimédia permettra de les aborder sous de nombreux aspects et de passer en revue la diversité de la déportation.

La vidéotheque → L'article de Madame Manette Martin Chauffier